Anathème

Elle crachait sa haine sur leurs estomacs boursouflés de fromage et de vin. Elle leur jura que jamais elle ne finirait comme eux, repus et sages, gonflés à bloc et satisfaits sans rémission d’une vie tirant sur sa fin. Elle leur jura qu’elle ne serait jamais satisfaite de rien et qu’elle traînerait son malheur de vivre d’heures en heures jusqu’à la dernière et qu’elle crierait toujours aussi fort qu’injure lui a été faite le jour de sa naissance. Trahison infinie que de l’avoir jetée là avec mission de mourir sans regrets et sans péchés de non-vie. Elle leur jura qu’elle ne ferait jamais rien d’autre que maudire et marcher à côté de la route que les étoiles lui ont tracé. Elle ne chercherait jamais à sortir de son brouillard terrifiant. Elle ne construirait aucun mur pour échapper aux visions terrifiantes qui l’assaillent quand elle marche dans les rues, croisant des visages grimaçant malgré eux, ignorant de grimacer, elle les voit se tordre de douleur sous les dehors les plus exquis et les mieux maquillés. Elle n’arrêterait jamais de gémir.

Et elles pourraient lui parler les belles dames amies de Dieu et des anges et des esprits de guérison, lui parler d’ondes bienfaisantes et de joie illuminante, et de bonté sans partage, de lumière et d’amour. Elle les savait plus perdues qu’elle. Elles ouvraient les yeux comme des soucoupes, te souriaient comme des effarées au bord de perdre la raison, elles traînaient un relent d’ineffable apaisement, comme pour endormir les révoltes, les colères et les peurs. Les berceuses d’humanité. Dormez les enfants, n’ayez pas peur, tout est bonté, tout vous aime, au fond de vous gît l’enfant que vous étiez et l’humanité depuis la nuit des temps. Vous n’êtes qu’un puits d’amour où Dieu vient se ressourcer. Ne tarissez pas votre puits. Dieu pleure et meurt de soif à vos côtés.

Qu’est-ce Dieu ? Mon pote Dieu vient te mesurer à ma colère, à ma haine incendiaire, aux tempêtes qui rugissent dans ma tête et me refoulent au bord de l’inconscient ! On verra si tu peux être autre chose que ce pleurant affalé à côté de mon puits !

©Catherine Pierloz 2003

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