La nuit tombe. C’est l’heure d’écrire, ma chérie. Les bûcherons sont venus aujourd’hui. Ils ont coupé le vieux chêne. Je leur ai crié des insultes. Ils se sont moqués de moi. Je les ai entendus. Ils ont dit que je n’avais plus de dents. C’est vrai, ma chérie, il ne m’en reste pas beaucoup.
Il n’a pas plu aujourd’hui. C’est pour cela qu’ils sont venus. Mais c’était un jour de brouillard. Comme tu aimais. Tu disais « dans le brouillard, les esprits dansent ». Ça n’a pas dérangé les bûcherons. J’ai entendu la tronçonneuse jusque vers midi. Puis ils ont pique-niqué. Ils ont laissé l’arbre avec sa grande blessure. On n’entendait rien. Normalement, on entend les voix si quelqu’un parle dans la clairière. Mais c’était comme toujours, le silence. Je voyais la cime du chêne. Elle dépassait tous les arbres. Tu ne verras plus jamais ça.
C’était le dernier midi du chêne. Le ciel était si gris qu’il ne permettait pas de deviner à quelle hauteur se trouvait le soleil. Mais moi je savais. A cette saison, le soleil il passe déjà au-dessus du toit de la maison. A midi, le chêne et le soleil, ils pouvaient se regarder dans les yeux.
Et puis les tronçonneuses ont repris. Ça a duré sept secondes. J’ai compté. La cime a basculé. C’était très doux. Même le craquement. Un tout petit crac, très discret. Un si vieux chêne, je me suis dit. Tant d’années. Et un si petit crac.
Plus tard, quand il n’y a plus eu personne, j’ai marché jusque là. Ils ont laissé l’arbre là. J’ai touché les feuilles qui avaient été les plus hautes. Elles n’étaient pas vraiment différentes des autres. Je me suis assise sur le tronc. Je n’ai pas eu de pensée extraordinaire, mes pieds étaient mouillés. Les seules chaussures qui me restent sont mes sandales japonaises. Mes chaussettes faisaient une boule humide.