Une nuit, un chat m’attendait devant ma porte. Un jeune chat miaulant. Il s’est frotté contre mes jambes en ronronnant. Il était noir tacheté de roux. La nuit précédente, j’avais rêvé d’un ocelot qui se régénérait de lui-même après avoir été jeté dans les flammes comme un phœnix. On était en pleine forêt amazonienne. Des convois de soldats afghans défilaient, et cet ocelot se jetait sans cesse dans les grands feux qui bordaient le chemin. Les soldats – terribles yeux noirs –prononçaient machinalement « Allah Akbar » à chaque fois qu’ils étaient témoins de la renaissance de l’ocelot qui se jetait sur les capots en rugissant.
Ces rugissements provoquaient invariablement le même mouvement : les soldats sortaient précipitamment du convoi brutalement stoppé, pointaient leurs mitraillettes vers le ciel et fusillaient la nuit étoilée entre les hautes frondaisons.
C’est à cause de ce rêve que j’ai pris le chat chez moi. Il ressemblait à l’ocelot. Et étrangement, dès que je l’ai pris dans mes bras, j’ai su, certitude absolue et lumineuse : il était la réincarnation de ma mère. Dès lors, rien ne m’a jamais surpris avec ce chat. Ses soudaines sautes d’humeur : ces catatonies dépressives qui le laissaient gisant sur la carpette de la salle de bain, et ces exaltations subites et furieuses qui le faisaient bondir des dossiers des fauteuils jusqu’aux murs où il rebondissait tel un ninja en envoyant valser tous mes cadres (non, ce n’est pas de l’art contemporain si tous les verres de mes cadres sont brisés !).
Souvent, je lui parle. Je prends une voix que je ne me connais pas. Je dis des mots étranges avec un timbre cotonneux. C’est ma voix de l’au-delà. Ce chat me regarde alors avec une profonde sagesse qui me tient à distance. Et je me sens très petite, très humble. Un jour, je luis ai montré une photo de ma mère, curieuse de ce que serait sa réaction. Un seul mouvement de l’iris, baissé vers la photo puis remonté vers moi, suivi d’une longue fixation surprise et peinée. Je me suis sentie une pauvre fille.
Mais ce chat est le seul qui puisse calmer mes insomnies. Quand j’erre dans mon lit, incapable de sombrer dans l’autre-monde, je l’appelle. Toujours, docilement, il vient. Il saute dans mon lit avec le miaulement habituel qu’il ne peut réprimer. Il vient se coucher contre ma tête. Mes cheveux contre son ventre, il me veille, les yeux mi-clos. Le sommeil arrive, toujours, immédiat, profond et extraordinairement peuplé de rêves.
©Catherine Pierloz2013