Lettre à Cassandre

Dans la trentaine, je t’ai beaucoup cherchée.
J’ai prononcé ton nom bien plus souvent que je ne t’ai rencontrée.
J’avais la sensation obsédante d’une présence tapie dans le noir, recroquevillée et hostile. Boudeuse, tu serrais les lèvres et secouais la tête. « Non, ce n’est pas ça. Tu parles de moi mais tu ne connais rien. »
Et tu m’intimidais beaucoup.
Je cherchais ta rencontre.
Je me sentais comme souvent protectrice.
Mais c’était cela que tu me reprochais. Tu n’avais rien à faire de ma protection.
Tu avais 3000 ans.
Tu as rejeté un Dieu, été brûlée par tes visions, a connu le bâillonnement par la fulgurante nouveauté des mots qui te sortaient de la bouche, survécu à la certitude de n’être plus reliée à rien, connu le sort des vaincus qu’on croyait invincibles.
Tu es maudite depuis si longtemps.
Et tu n’as pas besoin de moi.
J’étais trop fière pour reconnaître que c’est moi qui avais besoin de toi.
Trop inconsciente pour comprendre en quoi j’aurais besoin de qui que ce soit.
Puis, Dieu sait comment, j’ai commencé à entrevoir qu’il faudrait m’arracher ma face tranquille pour te faire voir le visage grimaçant de terreur qui se cache entre mon squelette et ma peau, et là seulement tu viendrais à moi, ronronnante et sournoise comme une chatte, tu viendrais caresser les chairs à vif, et me murmurerais : « Il n’y a que dans cet état qu’on est visité. »
©Catherine Pierloz – 2014

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