Source : https://www.economist.com/1843/2018/07/03/laszlo-krasznahorkai-and-his-spellbinding-sentences

La mélancolie de la résistance – Laszlo Krasznahorkai

Doucement, il immobilisa la Terre, laquelle lança des clins d’œil malicieux en direction des spectateurs, la tourna vers le Soleil, se plaça puis se plaqua contre elle, l’enlaçant presque, ensuite, en se penchant par-dessus son épaule, il fixa – comme si son regard servait de medium aux trois autres -, en plissant les yeux face à cette “lumière aveuglante”, le titubant chauffeur. “Nous sommes en pleine… clarté. Mais subitement… voici que nous apercevons le disque de la lune…”, il interrompit le “Sergej” qui poursuivait obstinément sa czardas autour du peintre, et le plaça entre le Soleil et la Terre, “la lune décrit une tache… une sombre tache sur la sphère flamboyante du soleil… et cette sombre tache ne cesse de croître… Vous la voyez?…” Il surgit de derrière le peintre et poussa tout doucement le débardeur offusqué mais totalement impuissant, “et ensuite… vous voyez?… très vite, nous voyons dans le ciel… la lune qui recouvre… peu à peu… la petite faucille aveuglante… ce qui reste du soleil. Et l’instant suivant”, murmura d’une voix étranglée par l’émotion Valuska dont le regard passait de l’un à l’autre des trois hommes alignés sur le même axe, “il est, disons, midi… et nous allons être les témoins d’un événement dramatique… car tout à coup… en l’espace de quelques minutes… l’air devient glacial… vous sentez? Le ciel s’assombrit… et puis… c’est l’obscurité totale! Les chiens se mettent à aboyer! Les lapins paniqués se ruent vers leur terrier! Les hardes de chevreuils courent dans tous les sens! Et dans cet incompréhensible et angoissant crépuscule… même les oiseaux (“Les oiseaux!” cria Valuska, et en feignant la stupeur il leva les bras en l’air, déployant, comme une chauve-souris ses ailes, les larges pans de son manteau de postier), même les oiseaux filent s’abriter vers leurs nids! Et… un grand silence s’abat… et tous les êtres vivants deviennent muets. Et… les mots restent coincés dans nos gorges… Les montagnes vont-elles se soulever? Le ciel… va-t-il s’effondrer? la terre va-t-elle se dérober et nous engloutir? Nous l’ignorons. Nous venons d’assister à une éclipse totale du soleil”. Ces dernières paroles, formulées, tout comme les précédentes, dans le même état de transe prophétique, dans le même ordre, avec la même intonation depuis des années (elles étaient donc sans surprise), ces paroles particulièrement puissantes, donc, une fois prononcées, alors que Valuska, épuisé et inondé de sueur, regardait le public en souriant béatement et en remontant sans cesse la bandoulière de sa sacoche qui ne cessait de glisser, eh bien, cette fois-ci, elles eurent de façon imprévue un effet troublant sur l’assistance, et pendant trente secondes aucun son ne retentit dans l’auberge bondée à craquer, car ce public d’habitués, après s’être ressaisi, avait à nouveau perdu son assurance, et tous contemplaient béatement Valuska, étonnamment confus, incapables de donner libre cours à leur envie de plaisanter, comme s’il y avait quelque chose d’angoissant dans le fait de constater que si “leur crétin de Janos” avait du mal à revenir sur la “consumante terre ferme”, c’était simplement parce qu’il ne quittait jamais “l’océan céleste”, tandis qu’eux, tels des poissons du désert réfractant la lumière de leurs verres, ils n’avaient jamais bougé d’ici.

Le café était-il soudain devenu trop exigu?

Ou le monde, trop vaste?

Avaient-ils oublié ces mots entendus des milliers de fois?

Ce sourd martèlement :

le “ciel s’assombrissant”

la terre “se dérobant”

les “oiseaux “filant vers leur nid”

avait-il réveillé

et apaisé

quelque brûlante douleur

dont ils ignoraient l’existence?

Pas vraiment : ils avaient plutôt, comme on dit, “laissé la porte ouverte” une fraction de seconde, ou bien avaient-ils – à force de l’attendre – simplement raté la fin, toujours est-il que le silence gêné s’étant un peu trop lourdement appesanti sur le “Péfeffer”, d’un seul coup, tous reprirent leurs esprits, et comme l’homme qui rêve de voler en suivant des yeux la douce courbe du vol d’un oiseau se voit subitement dégrisé en retrouvant ses pas enracinés dans le sol, cette indéfinissable, obscure et informe sensation éphémère fut balayée par un brusque retour aux volutes de fumée de cigarette, aux lustres en fer-blanc au-dessus de leurs têtes, à leurs verres de vin désespérément vides, et à l’imperturbable Hagelmayer qui derrière son comptoir était déjà en train de boutonner son manteau. Le brouhaha retentit à nouveau, et tous de venir féliciter le peintre en bâtiment, fier comme un paon, et les deux autres astres rouges de confusion qui ne comprenaient toujours rien à rien, quant à Valuska, il reçut son verre de vin et se retrouva très vite tout seul. Gêné, il s’écarta de la masse tumultueuse des vestes fourrées et des manteaux pour se réfugier dans un coin isolé derrière le bar et puisqu’il ne pouvait plus compter sur les autres, il se retrouva à nouveau tout seul pour poursuivre fidèlement, avec le même émerveillement, l’histoire époustouflante de la rencontre de trois astres, et ivre de bonheur procuré par le spectacle et par les clameurs exprimant selon lui la délectation du public, il contempla, en solitaire, le cheminement de la lune qui lentement glissait de l’autre côté de la sphère incandescente du soleil… Car il désirait voir, et il vit la lumière revenir sur terre, et il désirait vivre, et il vécut ce moment d’intense émotion où l’on se libère du poids écrasant de la peur, cette peur provoquée par une obscurité glaciale, angoissante, apocalyptique. (pp. 110-114)


Il s’arrêta devant la porte si familière du salon, transféra la lourde valise dans l’autre main et se mit à songer à la grandiose et miséricordieuse lumière – si ce moment arrivait – qui attendait M. Eszter. Car il aurait tant de choses à découvrir – il frappa trois coups, comme à son habitude -, il verra l’ordre indestructible qui par son merveilleux et infini pouvoir relie à un ensemble unique harmonieux la vie – si éphémère qu’à peine éclose elle nous échappe – de tous les êtres qui peuplent en mutuelle dépendance les continents et les océans, le ciel et la terre, l’air et l’eau; il verra que naissance et mort ne sont que deux bouleversants instants d’un perpétuel éveil, et il verra le regard ébahi de celui qui comprend cela; il ressentira – il saisit délicatement la poignée de la porte – la chaleur des montagnes, des forêts, des fleuves et vallées, il découvrira les profondeurs secrètes de la vie humaine, et il comprendra que le lien indestructible qui le rattache au monde n’est ni une servitude ni une condamnation, mais un sentiment indéfectible d’appartenance; et il découvrira l’immense bonheur du partage, de la communion, de se sentir entouré : par la pluie, le vent, le soleil, la neige, un vol d’oiseau, le goût d’un fruit, le parfum d’un pré; et il finira par sentir que ses angoisses et amertumes ne sont que des poids entravant les racines encore vivaces de son passé, et freinant, tel un lest, l’envol de ses chances d’avenir – il ouvrit la porte -, et enfin il saura que chacune de nos minutes est un passage à travers les nuits et les jours d’une terre en gravitation, à travers les vagues successives de ses hivers et ses étés, parmi les planètes et les étoiles. Il entra avec la valise et en plissant les yeux, il s’arrêta dans la pénombre. (pp.143-144)


Il leva les yeux et eut l’impression soudaine que le ciel n’était pas à sa place, il regarda à nouveau, terrifié, et découvrit qu’à la place du ciel il n’y avait plus rien, alors, il baissa la tête, et avança simplement parmi les toques de fourrure, comme s’il venait soudain de comprendre qu’il était inutile de poursuivre sa quête, ce qu’il cherchait n’était plus, avait été englouti par la terre, par cette marche, par la conspiration des détails. (pp.256-257)


Et bien non, il poursuivit sa ronde en traversant la chambre de Valuska pour se rendre dans le salon, nous ne dominons pas le processus, c’est lui qui nous domine, sans pour autant nous faire douter de notre apparente domination, tout du moins, tant que notre cerveau hautement ambitieux répond de façon satisfaisante à ses modestes exigences en matière de perception et d’évaluation, car pour le reste, il saisit la poignée de la porte du salon et sourit, le reste , ce n’était plus son affaire; et comme un homme qui après une longue période de cécité se retrouve soudain propulsé dans le monde des réalités, il fut ébloui par ce qu’il vit en ouvrant la porte et s’arrêta net sur le seuil en fermant les yeux. Il vit des milliards d’éléments agités, en perpétuelle mutation, entretenant un austère dialogue sans début ni fin, un milliard de situations et un milliard d’événements; un milliard, mais en un seul, un seul qui renfermait tous les autres, le rapport conflictuel entre ce qui, de par son existence, résistait et ce qui, de par sa potentialité, s’efforçait de briser cette résistance. Et il se vit lui-même dans cet espace saturé de vie, il se revit devant la dernière fenêtre du corridor, et à cet instant il comprit la nature de la force devant laquelle il avait plié et dans laquelle il s’était engouffré. Il prit conscience des forces qui régissaient le processus, comprit que la nécessité était le moteur de l’existence, un moteur qui engendrait la motivation, la motivation générant la participation, une participation active dans les rapports donnés, où tout notre être s’efforçait, en puisant dans une gamme de réflexes préétablis, de sélectionner le plus avantageux, le résultat dépendant de l’existence ou non de ce rapport avantageux, et puis, bien entendu, se dit-il, de la patience, des subtils hasards du combat, puisque le succès de la démarche, de cette présence impersonnelle, constata-t-il, s’apparentait à un coup de poker. Il contempla cette vaste et limpide étendue et fut particulièrement impressionné par sa réalité absolue, impressionné, car il était très difficile de concevoir que le monde réel, au-delà de l’ampleur infinie de sa turbulence, puisse – tout du moins pour nous – s’achever, bien qu’il fût sans fin, sans fin ni centre, et que nous ne soyons ” qu’une de ces milliards de particules dans cet espace fourmillant, où nous évoluons en nous laissant guider par nos réflexes”… (pp. 264-266)


Comme s’il s’était lentement affranchi d’un poids gigantesque, il s’était senti de plus en plus léger, et après avoir quitté Valuska à l’angle du passage Honvèd, il avait laissé cette légèreté guider ses pas, acceptant, sans l’ombre d’un regret : l’homme qu’il était auparavant allait être englouti, inéluctablement. Mais pour être englouti et ne plus jamais réapparaître, il devait accomplir un dernier geste, devait tirer les ultimes conséquences, ce qu’il fit, en décrétant qu’il devait paisiblement passer sur l’autre rive, et “vivre comme une victoire ce qui en réalité était une cuisante défaite”. Se replier dans un espace de sécurité interne, car la vie extérieure n’était plus que la scène d’une insupportable désolation, rompre avec toute envie viscérale d’intervenir, car la noblesse de l’action était minée par l’absence fondamentale de raison, se démarquer, car le rejet était la seule réponse d’un esprit sain, bref, se replier, rompre, se démarquer, sans pour autant renoncer à l’observation, à la contemplation de ce monde à la dérive, tout cela, se dit Eszter sur le chemin du retour dans un froid cinglant, s’apparentait à de la pure lâcheté, s’aplatir pour éviter les malentendus, fuir en avant plutôt que s’avouer : s’il s’était élevé contre ce “monde en perdition”, il ne l’avait jamais, à aucun moment, perdu de vue. Il lui avait répondu, il n’avait jamais cessé de lui réclamer des comptes, de lui reprocher son manque de rationalité, comme une mouche, il avait bourdonné autour de lui, inlassablement, oui mais voilà, il ne voulait plus bourdonner, car il commençait à comprendre qu’en recherchant sans relâche et en s’opposant à la nature des choses, au lieu de rattacher le monde à une finalité apparente, il s’était, lui, enchaîné à ce monde. Il se trompait, affirma-t-il à quelques pas de la maison, quand il jugeait que le fondement de la réalité était l’éternelle dégradation, puisque cela revenait à affirmer avec force qu’il restait des choses positives alors qu’il n’y avait plus rien de positif, et sa promenade l’avait persuadé qu’il ne pouvait en être autrement, et que ce “paysage, dans son ultime version”, n’avait pas perdu son sens mais avait toujours été dénué de sens. Il n’avait pas été programmé pour cela – Eszter ralentit son pas devant la porte -, ni pour cela ni pour autre chose, il n’avait pas dépéri, ne s’était pas dégradé puisque, à sa façon, il était éternellement parfait, une perfection dénuée de toute pensée conceptrice, de tout ordre si ce n’est celui du chaos, c’est pourquoi diriger les armes de la raison contre lui, harceler jour et nuit ce qui n’existait, n’existerait et n’avait jamais existé, regarder, regarder jusqu’à se brûler les yeux était non seulement fatigant, il introduisit la clé dans la serrure, mais inutile. “Révoquer la pensée”, il lança un dernier regard derrière lui, “pour ma part, je vais révoquer toute pensée libre et lucide, en tant que stupidité mortelle, renoncer à tout recours à la raison et désormais je me limiterai au bonheur inexprimable du renoncement”, uniquement cela, se répéta Eszter, plus de polémiques, mais le silence, le silence parfait, et il entra et referma la porte derrière lui.

(…)

Il réalisa alors que sa prise de position solennelle émise en franchissant le seuil n’était qu’une stupidité puérile, que son opinion sur le “manque cruel” de lisibilité, de logique rationnelle était une lourde erreur, une erreur perpétrée pendant “soixante années”, soixante années d’une existence passée dans un état de cécité, qui l’avait, bien entendu, empêché de voir ce qui désormais était limpide : la raison, il contempla rêveur le tracé sinueux des veines d’une planche, n’est pas ce qui manque cruellement au monde, elle en est une composante, elle en est l’ombre. Son ombre, car dans cet éternel dialogue mouvementé, elle bouge en même temps que les réflexes qui dirigent nos êtres, puisque telle est sa tâche, accompagner tous les événements qui la concernent dans leurs moindres vibrations, sans jamais pour autant dévoiler la teneur de ce dialogue, puisque l’objet poursuivi par cette ombre ne peut rien révéler de lui-même en-dehors de la nature de son mécanisme. Une ombre reflétée dans un miroir, précisa Eszter, mais même là où le miroir et l’image coïncident parfaitement, l’ombre cherche malgré tout à les dissocier, dissocier ce qui de tout temps est identique, séparer, couper en deux des choses inséparables pour, perdant ainsi le plaisir insouciant de l’appartenance, acquérir aux dépens de la douce et légère mélodie de la fusion éternelle, il s’écarta de la fenêtre du salon, l’immortalité, en tant que connaissance. Ainsi l’intelligence, s’égarant dans sa mission et passant ainsi, il se dirigea lentement, tête baissée, vers la porte, du statut d’invitée à celui d’exclue, se prend à réfléchir sur elle-même, c’est-à-dire sur quelque chose d’autre que ce qui existe malgré et contre tout, et laisser derrière elle, au cours de son errance labyrinthique, tous ses souvenirs dérangeants, en tant qu’invitée comme en tant qu’exclue. Ainsi l’amère question découlant de l’illisible contenu du “monde”, de ce dialogue insaisissable, à savoir : “à quoi bon tout ça?”, n’est qu’un sermon pour brider l’indomptable, un filet pour capturer l’infini, une langue pour traduire l’étincelle, et ainsi le monde et son sens ne font qu’un. Un sens qui comme une main dénouerait puis rassemblerait les fils apparemment disloqués de cet énigmatique tourbillon, qui le soutiendrait, comme le ciment qui soutient l’édifice, seulement, et il sourit en s’approchant de la chaleur diffusée par le poêle, si jamais cette main, comme lui maintenant, lâchait les fils, ce dialogue mouvementé se poursuivrait et l’édifice ne s’effondrerait pas. Il ne s’effondrerait pas plus que lui-même ne s’était effondré, alors que pourtant, il avait le sentiment d’avoir lâché tout ce à quoi il était attaché, dès lors il avait compris : la pensée menait soit à une illusion démesurée, soit à une détresse injustifiée, et quand il quitta le salon et pénétra dans le vestibule, il cessa de penser; ce n’était ni une fuite ni un renoncement, il venait simplement de se libérer de sa passion de l’auto-analyse, et tout comme autrefois, au cours de l’épisode Frachberger, il avait fui la musique et mis fin à une illusion, maintenant, et d’une façon cette fois-ci vraiment révolutionnaire, il mit fin à sa douloureuse détresse. (pp. 268-273)


Car les matins et les après-midi s’étaient effondrés, tout comme les soirées et les nuits, ce qui jusqu’à hier fonctionnait dans un équilibre apparemment éternel, imperceptible – comme une dynamo silencieuse -, aujourd’hui avait soudainement pris un visage glacial, brutal, expressément répugnant, mais d’une clarté absolument édifiante : son foyer, la maison dans le jardin, avait perdu tout le charme mensonger qu’il aimait si innocemment, et maintenant, en lui accordant un dernier regard indifférent, il ne voyait plus que des murs couverts de salpêtre et un plafond bosselé : une buanderie, propriété des Harrer; plus aucun sentier n’y accédait, plus aucun chemin ne menait nulle part, car pour l’incurable vagabond qu’il était autrefois, toutes les portes, brèches, ouvertures avaient été condamnées afin de l’aider, lui, le convalescent, à trouver les portes du “monde effroyable des réalités”.

(…)

Il aurait aimé ( ne fût-ce cette mortelle fatigue) leur annoncer qu’ils n’avaient rien à redouter de sa part, puisque son “cœur” à lui aussi était “mort”, il leur aurait dit qu’il n’y avait plus lieu de se moquer de lui, puisque maintenant il “avait les pieds sur terre, et il comprenait tout”, il ne croyait plus que le monde fût, ou eût été, “un lieu enchanteur”, invisible mais existant, il avait saisi que “la force suprême émanait des lois des hommes en armes”, et même s’il éprouvait, il ne pouvait le nier, de l’épouvante à leur égard, il se sentait capable de s’adapter et leur était “reconnaissant de lui avoir permis de voir clair à travers eux”. Il quitta avec eux la place Marothy, décida d’attendre patiemment de recouvrer ses forces pour pouvoir leur raconter comment il avait vécu dans la naïveté et l’illusion, il voyait, leur dirait-il, un gigantesque cosmos dont la terre n’était qu’un point minuscule, un cosmos dont le moteur suprême était la joie, une joie dont “les étoiles et les planètes étaient imprégnées depuis la nuit des temps”, et lui, il trouvait cela très bien, et il était persuadé qu’il existait quelque noyau secret, non pas un sens, non, mais… une substance, plus légère que le souffle, dont le rayonnement bien qu’indémontrable était indéniable et ne pouvait être ignoré que par ceux qui n’y prêtait pas attention.

(…)

Voilà ce qu’il aurait dit, et puis aussi qu’il avait l’impression d’être tombé d’une “sphère géante” aux dimensions infinies, pour atterrir dans un enclos au milieu d’une plaine effroyablement aride, d’être passé d’une rêverie, maladivement ludique, au “réveil en plein désert”, là où les choses ne véhiculaient que leur réalité matérielle, car aucun élément de ce désert ne pouvait se transcender, il avait enfin réalisé, aurait-il ajouté, que sur cette terre, il n’y avait de place pour rien en dehors de ce qu’elle portait sur son écorce, mais, en revanche, tout ce qui existait était doté d’un poids et d’une force gigantesque, et d’un sens qui découlait de lui-même, un sens qui ne se référait à rien. Il leur aurait demandé de le croire : lui aussi savait désormais qu’il n’existait “ni Dieu, ni enfer”, puisqu’il était impossible d’invoquer quoi que ce soit hormis ce qui existait, que seul le mal trouvait une explication, non le bien, c’est pourquoi il n’y avait “ni bien ni mal”, une tout autre loi, celle du plus fort, régentait le monde, et quand la loi du plus fort triomphait, rien ne pouvait s’y opposer. (pp.318-322)

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