Vents – Saint-John Perse

… C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands vents à l’œuvre parmi nous,

Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril,

Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles.

C’étaient de très grandes forces au travail, sur la chaussée des hommes – de très grandes forces à la peine

Qui nous tenaient hors de coutume et nous tenaient hors de saison, parmi les hommes coutumiers, parmi les hommes saisonniers,

Et sur la pierre sauvage du malheur nous restituaient la terre vendangée pour de nouvelles épousailles.

Et de ce même mouvement de grandes houles en croissance, qui nous prenaient un soir à de telles houles de haute terre, à telles houles de haute mer,

Et nous haussaient, hommes nouveaux, au plus haut faîte de l’instant, elles nous versaient un soir à telles rives, nous laissant

Et la terre avec nous, et la feuille, et le glaive – et le monde où frayait une abeille nouvelle…

Ainsi du même mouvement le nageur, au revers de sa nage, quêtant la double nouveauté du ciel, soudain tâte du pied l’ourlet des sables immobiles,

Et le mouvement encore l’habite et le propage, qui n’est plus que mémoire – murmure et souffle de grandeur à l’hélice de l’être,

Et les malversations de l’âme sous la chair longtemps la tiennent hors d’haleine – un homme encore dans la mémoire du vent, un homme encore épris du vent, comme d’un vin…

Comme un homme qui a bu à une cruche de terre blanche : et l’attachement encore est à sa lèvre

Et la vésication de l’âme sur sa langue comme une intempérie,

Le goût poreux de l’âme, sur sa langue, comme une piastre d’argile…

Ô vous que rafraîchit l’orage, la force vive et l’idée neuve rafraîchiront votre couche de vivants, l’odeur fétide du malheur n’infectera plus le linge de vos femmes.

Repris aux dieux votre visage, aux feux des forges votre éclat, vous entendrez, et l’An qui passe, l’acclamation des choses à renaître sur les débris d’élytres, de coquilles.

Et vous pouvez remettre au feu les grandes lames couleur de foie sous l’huile. Nous en ferons fers de labour, nous connaîtrons encore la terre ouverte pour l’amour, la terre mouvante, sous l’amour, d’un mouvement plus grave que la poix.

Chante, douceur, à la dernière palpitation du soir et de la brise, comme un apaisement de bêtes exaucées.

Et c’est la fin ce soir de très grand vent. La nuit s’évente à d’autres cimes. Et la terre au lointain nous raconte ses mers.

Les dieux, pris de boisson, s’égarent-ils encore sur la terre des hommes? Et nos grands thèmes de nativité seront-ils discuté chez les doctes?

Des Messagers encore s’en iront aux filles de la terre, et leur feront encore des filles à vêtir pour le délice du poète.

Et nos poèmes encore s’en iront sur la route des hommes, portant semence et fruit dans la lignée des hommes d’un autre âge –

Une race nouvelle parmi les hommes de ma race, une race nouvelle parmi les filles de ma race, et mon cri de vivant sur la chaussée des hommes, de proche en proche, et d’homme en homme,

Jusqu’aux rives lointaines où déserte la mort!…

(Saint-John Perse, Vents, IV, 6)

http://sjperse.org/terzieff.html

 

2 commentaires sur “Vents – Saint-John Perse

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  1. Chère Catherine, une petite faute de frappe : le goût poreux de l’âme sur SA langue.

    Bises et merci pour tes beaux partagés
    Fred

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par Anders Noren.

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