Lettre aux loups

Chers loups du Mont Guéret,

on s’est croisé, il y a quelques années.

J’avais un contrat pour une soirée contée dans le parc où on vous garde.

Je m’y suis promenée seule, après que les derniers visiteurs soient partis.

J’ai marché entre le bas de la colline et la sapinière.

J’ai choisi les endroits où je conterais deux heures plus tard.

J’avais ma guitare.

C’était le crépuscule.

De toute façon, il faisait sombre sous les sapins.

J’étais seule.

C’était calme.

Vous avez assez de vastes espaces dans ce parc, vous pouvez y disparaître.

Il n’était pas certain que je vous vois.

On m’avait prévenue.

Je marchais lentement.

Puis, au bout de mon regard, il y a eu une tache blanche.

Une tache blanche, loin, dans le sous-bois, camouflée par l’alignement irrégulier des sapins aux troncs nus.

Tu étais immobile, mais pas assis, une immobilité prête à tout, qui en est encore au stade de l’observation, la tête en avant, un peu par en-dessous.

Dans notre face à face truqué – ce grillage entre nous, pour ma protection et pour ton humiliation – s’est rejoué, néanmoins, en moi en tous cas, toutes les histoires accumulées par nos deux espèces.

C’est pour cela qu’on visite ce genre de parc, pour que notre épine dorsale se souvienne du temps où nous étions une proie observée par un prédateur caché dans un sous-bois.

Un peu plus tard, plus haut, je me suis arrêtée à un endroit où toi, l’autre loup, tu t’étais affalé sur un pan de terre battue le long du grillage.

Je me suis assise, à quelques pas de toi, j’ai pris ma guitare et j’ai chanté.

Tu as baillé, comme si tu me voyais venir, avec une bonhomie lasse, tu as pointé ton museau vers le haut et tu m’as accompagnée de ton hurlement de loup chanteur.

Nous nous sommes égosillés en chœur quelques splendides minutes, avant que tous les loups cachés dans ce parc n’unissent à nos voix les leurs, dans une union que j’ai pris pour le signe de la réconciliation totale entre l’homme et l’animal.

Le parc entier vibrait de ce cri ancestral.

Les hurlements montaient et descendaient comme des vagues indociles.

Et moi je mêlais ma voix aux vôtres.

Si je vous écris aujourd’hui, c’est pour vous poser cette question qui me hante :

Vous souvenez-vous de moi ?

Évoquez-vous, entre vous, parfois, mon souvenir ?

Dans l’attente d’une réponse positive de votre part, je vous prie de recevoir mes plus cordiales salutations.

Catherine Pierloz

©2018Catherine Pierloz

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