
Le rapport, c’est une co-transformation.
Là où quelque chose d’improbable surgit, où quelque part quelque chose qui semblait tout petit se met à exister, ça me nourrit l’imaginaire et l’imagination.
Lors d’un épisode qui a compté pour moi dans les années nonante et qu’on a appelé la guerre des sciences (…) C’est-à-dire que personne ne s’arrêtait pour comprendre ce à quoi les autres tenaient. C’est ce qui me fait souvent dire que la guerre n’est pas l’amie de la pensée.
Il se fait que je me sens européenne. Mes parents étaient historiens, j’ai été nourrie de littératures, de références européennes, etc. Donc je sais que beaucoup de ce qui m’a nourrie intellectuellement et affectivement peut être critiqué du point de vue décolonial. Et je ne veux pas me défendre, je ne veux pas hurler avec les loups qui prétendent que les Indigènes de la République sont racistes. Je reconnais la bêtise, le manque d’imagination et l’assurance d’être dans le bon de ceux qui refusent la critique de ce à quoi ils tiennent. Mais pour moi c’est une épreuve au sens où je refuse de renier ce à quoi je tiens, et qui me tient, qui me fait penser. Je veux pouvoir continuer à penser et ne pas simplement dire : oui, ils ont raison. Parce que je sais que si je faisais ça, dans une autre partie de mon crâne je me dirais, je dois être compréhensive parce que comme ce sont des victimes, ils ont bien le droit de le dire. Je veux penser grâce à eux, avec eux, mais pas comme eux. Je ne suis pas eux.
Quelles sont les histoires qui seraient dignes de fabriquer non pas des “Ah toi aussi!”, pas des reconnaissances mutuelles, mais des intérêts mutuels?
Se resituer comme héritier d’un désastre et pas seulement d’un progrès, ça permet de créer des degrés de liberté un peu inattendus. Cela réveille le souvenir de ces expropriations et cette manière dont on a été rendus satisfaits de nous-mêmes; et finalement relativement passifs et consommateurs.
Resituer nos faiblesses et pouvoir les dire avec d’autres mots que ceux qui ont pris le désastre colonial de plein fouet, pour qui il n’a rien d’obscur, mais le dire tout aussi durement.
Mais pour faire des interstices avec d’autres, il faut que ces autres soient déjà un peu en quête de ça.
Écrire, pour moi, cela ne devient intéressant que quand on a réussi à créer une situation où ça se met à résister, où cela n’est pas docile à nos intentions, où on ne retrouve pas dans ce qui s’est fait le simple reflet de nos intentions, mais quelque chose d’autre.
Il y a l’autre résistance qui est : comment peut-on apprendre à résister dans des situations sociales et politiques? Où là, il faut choisir ses lieux de résistance, et ceux avec et grâce à qui on réussira à résister, tout en étant prêt à donner des coups de main à d’autres qui résistent différemment, en acceptant jamais de se laisser séparer… jamais de hiérarchie.
Le type de pensée que je pratique essaye d’avoir une dimension d’intrigue, de retournement de la situation telle qu’on la voyait. Le fait que j’ai essayé de faire des fictions n’est pas du tout étranger à cela. Ce n’était pas un “ailleurs”, c’était continuer des choses qui m’intéressent avec d’autres moyens, des moyens plus exigeants parce que devant intéresser des gens qui, a priori, n’étaient pas du tout intéressés par ce genre de choses.
J’essaie d’éviter toute histoire qui met en scène une utopie. S’il vous plaît, ne nous racontez pas de belles histoires qui font rêver, racontez-nous des trajets d’expérimentation, d’échecs, d’erreurs, de réussites, en tous cas d’apprentissages.