
Plus je suis singulière, plus je permets au lecteur de devenir lui-même.
Les personnages de l’album Alors? sont-ils des peluches, des animaux, des marionnettes, des êtres réels? On retrouve là encore les frontières entre les choses qui existent et celles qui n’existent pas. De quel droit peut-on dire qu’une chose n’existe pas? Pour moi, j’accorde à ces personnages une charge, une intention qui fait qu’ils ne sont pas juste des peluches. Leur présence va bien au-delà et je laisse au lecteur deviner ou présumer. Ces frontières invisibles m’intéressent beaucoup. Je préfère emmener les lecteurs dans une histoire où l’identité des personnages est floue. Les étiquettes m’effraient beaucoup. Pourquoi toujours nommer les choses? Je pense intimement que les mots, les désignations enferment et peuvent être dangereuses. Les étiquettes ont le désagrément de poser des frontières factices entre les choses.
(…)
J’invite les lecteurs à arrêter de contrôler leur petit royaume. (…) je trouve que c’est confortable de se dire ‘Pourquoi pas?’. Une fois qu’on a défini les choses, c’est difficile de les voir avec un regard neuf. J’aime bien entraîner mon esprit dans des univers où il n’est pas accoutumé. Ce n’est pas si grave si je ne comprends pas tout, l’essentiel est de confronter son esprit à l’inconnu, à quelque chose qu’il ne reconnaît pas. Cela nous oblige à réfléchir autrement. Je dis toujours que je crois aux mondes invisibles. Les contes, les mythes, les légendes existent depuis la nuit des temps. On a toujours admis la présence de l’invisible pour expliquer le visible. Le réalisme magique a des liens de parenté avec le surréalisme et le symbolisme.
Le temps employé à faire une page est aussi un facteur très important. Il participe du don et de la charge qu’on insuffle à ses dessins. Nos yeux ont besoin de cette charge d’âme.
Désormais quand j’aborde une discipline, que ce soit la religion, les sciences ou l’art, je recherche avant tout la poésie et les relations qui coexistent entre les choses.
Se demander si Dieu existe ou non n’est pas la bonne question. Je préférerais demander à chacun : “S’il a un dieu ou une déesse à ses côtés, qui prend soin de lui, quelle forme a-t-il? A-t-il un visage ou non?”
