
Elle le dit au début, quand fut au commencement le verbe, quand furent les premiers mots, les premiers qu’elle ouït de sa vie. Cruelle parole d’or, d’évangile, inscrite à la migraine, don inaugural de marraine Carabosse infusé magiquement par doigts de fée doigts de dame : cinq mots, cinq, comme poison à l’oreille, comme oiselle du malheur, plombés, prophétiques, oraculaires; poudre de perlimpinpin et tout le bataclan, et en son cœur noir un futur fuseau acéré.
Fuck.
C’est une fille.
A quoi rêve sinon tout mieux que nous une bébée? Engloutie encore par les images, par les vagues déferlant de l’encéphale originel, sans barrage ni contenance, pas loin du vide et du non-être, la p’tite est flottaison, suspendue comme dans ces limbes hantés par sa mère, en lévitation d’un lieu à l’autre, d’un monde à l’autre par la magie des mains des grands. Le modelage est en cours : tète bien, bébée, tète les doigts de lait, tète direct au cerveau. Le cœur vierge bat dans sa grosse tête molle. La fontanelle pompe,aspire poils et pire au rythme de la succion, et la p’tite fermant les yeux entend la musique splendeur de la bouche de sa mère morte, morte depuis si longtemps, longtemps en temps de lait, en temps de faim.
C’est de la bouche ensuite que ça pourrit, dira Grand-maman. Ça se gâte au premier mot, au commencement du verbe, ce don d’ouïe des autres, après la bave aux gencives et les vocalises de chatte écorchée. Quand elle les dit, les premiers, les tout premiers mots de sa vie.
Grand-maman se mord les lèvres, voyant la p’tite se jeter aux hommes. La p’tite qui cherche l’éden, les limbes, feu l’amour, la chose pressentie. Grand-maman l’attend, et le malheur aussi. C’est sa bouche d’avant qu’elle voit au visage de la p’tite, insupportable, sa bouche dédite, celle à Dieu volée et plus forte que prophétie. Sa bouche de souvenirs, quand elle riait.
La p’tite retrouve les murs de son enfance, et tout la frappe de plein fouet. Les notes de cèdre, les cendres, la poussière entassée dans les interstices des lattes. Elle retombe en cet état où l’air et tous tissus étaient mains caressantes et tout autour était aimant; l’autour de soie, simplement d’être, d’être en vie. Elle sent son corps se fondre aux lambris, au cheval, au poêle à bois, au mongol,
à l’absence, océanique jouissance, sans céder pourtant les frontières de son corps à cette dévoration.
Couchées en cuillère, la p’tite plus grande d’une tête, blottie contre la colonne mère jusqu’à devenir espoir d’oiseau : retourner en ses œufs, dans l’ivoire des lombaires sacrées, redevenir fœtus en ses propres vertèbres.
SUIS
née plus vieille
que ma mère née
à l’âge d’avant et me
simplifie de mort en mort
jusqu’à devenir mère de ma mère
et envers vertigineux de la musique
et
j’espère
par toi amour
des siècles de force une pluie d’éclairs
j’ai ouvert
mes entrailles
trois fois miracle!
et supporté le vide après la haine
tu y liras l’avenir et ses jouissantes dévorations
y liras les reines et les mères gigognes car nous avons
je dis que nous avons l’art de dormir
dans le séisme
suis
nous
toutes femmes
fées larges animales
éteintes renées revenues
ressoufflées et s’avalant par siècles décalés
la première bouche sera la dernière et
t’embrasse
si
le lait
me sort
mes fémurs
deviennent liquides
attrape-moi liquide je file
fée sirène aux flots lactés, Cléopâtre – enfin reine!
partie avec veaux vaches
et l’eau du bain
sors
les ailes
première
et première
je redeviens
glaciaire et sais
conquérir dieux et
monstresses, et aigles,
lettres de fer, sois dernière
fille d’assise, soyons ensemble d’armes
et de bouches de lance-pierres et nacrecœur
soyons dégorgés pure détresse, sorcières, langues
et crocs de souveraines ensemble, dans la joie ensemble
des effondrements
rejoins
Blanche étincelle tisons
bengales je brûle aux perséides
pluies d’éclairs pluies d’été, fulgurance
l’énergie contenue de n’avoir pas disparu
avant, de n’avoir pas – joie! – disparu avant
de disparaître
Adèle
amour
va hurler Dieu
va et deviens tempête
vacarme seule musique farine
et lait avant de nous faire mortes va
rendre œil pour œil de nos têtes aux cieux
va devenir cri avant soupir avant sourdine avant viande
va
amour
perce-cheval
pour joie et orchestre
être blasphèmes d’or tonnerre
chambre d’écho va avalanche et – pitié! –
avale-moi avec veaux vaches Blanche beurre ogresses
chaperons et vomis les os, les autres
nous
aurons
survécu à Dieu
à tout ce qu’ils ont dit de nous
notre langue est souvenir et ce que fut notre cœur
quand il était couronne
et
la main
des mots
a percé nos cœurs
pour te caresser reine et
qui m’aime me suive hors ce trou mortmère
la main
des mots
a caressé notre cœur
et qui m’aime me suive
me dise hors ce trou mortmère
amour
va