Sous les mots écrits

Il y a des mots qui ne veulent rien dire, quand ils sont regardés de haut.

Quand tu les regardes du fil d’où tu sais que tu vas tomber et venir t’écraser en terre, directement sous terre et y rester, quand tu regardes ces mots-là écrits pour l’éternité tu penses que rien n’a de sens. Car rien ne peut rattraper ce moment-là avant la chute. Toute la peur du monde s’y engouffre et tu es seule – aucun mot ne te servira de filet – pour la dévorer jusqu’au dernier soupir.

Tu iras pourrir dans la fosse, mais tu sais, tu sais intimement, sans le vouloir, que subsistera, entre les os, sous les racines, le trésor que tu as refoulé.

Ce sera un petit tas, une tumeur moisie, quelques déchets excrémentiels et tu y liras le jugement implacable de ton échec. De ta quête, de tes nuits de doute, de tes matins ivres ne subsistera qu’un peu de terre qui viendra fertiliser un sapin vert. Ce sera bien déjà, nous ne sommes que des fertilisants dans une longue chaîne dont nous ne connaîtrons jamais ni le début, ni la fin.

Mais nous espérons tous aboutir à l’unique miracle : défoncer la tombe, et jaillir de terre comme un cheval de brume chevauché par la créature que nous avons conservée vivace en nous, notre trésor, réchauffée à notre sang, et rendue intacte aux générations futures qui en feront leur source d’inspiration pour les créations à venir.

©Catherine Pierloz – 2017