Ténèbre – Paul Kawczak

Jamais n’avait-on vu encore, à une telle échelle, d’organisation si rationnelle et si intéressée de la mort. En chaque coin du pays, des subordonnés de cet État mortifère et raciste, amorçant ce qui reviendrait, en dernier lieu, au suicide de leur propre civilisation, assassinaient par centaines de milliers des vies africaines qu’ils eurent voulu oublier dans les brumes de leur délire. Le sang et la boue se mêlaient au sol comme ces insectes qui s’aiment d’une étreinte mécanique et furieuse, se dévorant le cou, les yeux ouverts sur la mort, le fond impossible de la vie.


Xi Xiao, Silu et Mohammed Hadjeras entamèrent leur entreprise de découpe au cœur de l’Enfer colonial, baignant dans une horreur éthérée qui dissolvait les âmes, glissant le long d’une pente de désespoir, de colère et de larmes qui les avaient menés bien plus loin qu’eux-mêmes, aux limites érotiques et violentes de l’existence. Le monde s’effondrait, tout leur avait été pris, ne leur restaient que les mystères raffinés de cette mystique ténébreuse des chairs et des destins.


Toute une civilisation bourgeoise, mâle et malade, étouffée de production, exsangue d’action, faisandée de rêves en chaque crâne, se dépensa avec érotisme et violence dans un fantasme de terre femelle et primitive, de Nouvelle Ève noire à violer dans la nuit blanche, sans relâche, la saignant de toutes ses richesses, bafouant sa tendresse de mère en criant la mort vide à sa face de déesse indolente.


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