La douleur du chardonneret – Anna Maria Ortese

Vous vous trompez, Monsieur Nodier, car même le fiancé ou le mari, quand il s’agit d’argent, sont pour elle les autres. Je vous assure que ma sœur ne considère comme propriété que celle de son travail. Aussi n’acceptera-t-elle jamais rien de personne car accepter, pour elle, c’est se faire entretenir, et se faire entretenir, selon elle, signifie être asservi. Elle préfère la servitude proprement dite – laver la vaisselle disons – plutôt que l’obligation du cœur envers d’autres personnes. Elle est ainsi faite.
La liberté serait donc le but pour lequel elle se sacrifie !


Sans revenir très loin en arrière, ni sortir de ces pauvres murs, demeure d’inquiétudes et de justes soupçons, disons qu’un cinquième personnage, tout à fait invisible et caché, assistait ce soir-là au repas frugal de nos amis, un personnage qui représentait toute la pensée douloureuse et triste de la demoiselle. Rien de moins que le Cardillo : cet oiseau qui n’était pas un oiseau, mais une sorte de destin, et sur lequel sa mère ainsi que Teresa et Ferrantina revenaient souvent dans leurs conversations, comme étant à l’origine de tous leurs maux de la famille.


Oho ! Oho ! Oho !

Rien n’était plus gai, rien n’était plus doux que ce chant. Et le Prince bénit la lune qui réapparaissait sur les murs, bénit cette voix surhumaine qui – alors qu’elle passait sur sa tête – avait rendu la vie obscure si chère à son cœur. Et il bénit le Cardillo qui arrivait, qui finalement lui expliquerait tout. La folie et la séparation, la douleur et la joie, cette joie qui venait maintenant avec lui : calme, froide, sans fin.


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