La montagne de l’âme – Gao Xingjian

On pénètre dans une sombre forêt de tilleuls et d’érables. Les pépiements incessants des mésanges dans les bosquets de catalpas effacent tout sentiment de solitude. A l’altitude 2700-2800, commence la zone des forêts de conifères, de plus en plus clairsemées. D’immenses tsugas d’un noir métallique se dressent, avec leurs grosses branches étalées en ombrelle. Les sapins brun-gris les dépassent de trente ou quarante mètres, certains même de cinquante ou soixante mètres. Leur faîtage pointu où naissent de jeunes aiguilles gris-vert leur confère un surcroît d’élégance. Dans la forêt, les broussailles ont disparu, le regard porte loin. Entre les gros troncs de sapins, quelques azalées de montagne de plus de quatre mètres de haut sont couvertes de fleurs rouges toutes fraîches. Les tiges penchées ont l’air de ne plus pouvoir supporter cette luxuriante beauté. Elles sèment leurs énormes pétales au pied de l’arbre, exposant sereinement la splendeur infinie de leur teinte. Cette merveille de la nature à l’état brut fait de nouveau naître ne moi un indéfinissable regret. Mais ce regret ne concerne évidemment que ma personne, il n’a rien à voir avec la nature elle-même.

Partout, d’immenses arbres morts cassés à mi-hauteur par le vent et la neige. Je passe entre ces énormes troncs dressés qui me forcent au silence. Souffrant du désir de m’exprimer, devant cette solennité, je perds mes mots.

(…)

– Des faisans des neiges, dit-il.

En un instant, l’air semble s’être figé de nouveau; le couple de faisans des neiges gris-blanc, grêlés, aux pattes rouges, pleins de vie, semble n’avoir jamais existé, telle une hallucination. Il n’y a que l’immense forêt immobile et sans fin, mon existence m’apparaît tellement éphémère qu’elle n’a plus de sens.

(…)

– On est à plus de 3000, non?

Il acquiesce d’un hochement de tête et court sous les arbres situés à l’endroit le plus élevé du replat. Il en fait le tour, ses écouteurs sur les oreilles, après avoir orienté l’antenne dans les quatre directions. Moi aussi, je regarde alentour. On est cernés de troncs d’arbres de la même grosseur, séparés par la même distance, tous aussi hauts et droits les uns que les autres, avec des branches partant toutes de la même hauteur avec la même élégance. Ici, pas de troncs cassés, ceux qui ont pourri gisent sur le sol, sans aucune exception, victimes de la sélection rigoureuse de la nature.

Ici, ni lichens, ni bosquets de bambous-flèches, ni buissons, les larges espaces entre les arbres rendent la forêt plus claire et la vue porte loin. Et, au loin, une azalée d’une blancheur immaculée, élancée et pleine de grâce, provoque un irrépressible enthousiasme par son extraordinaire pureté. Elle grossit au fur et à mesure que j’approche. Elle porte de grosses touffes de fleurs aux pétales encore plus épais que ceux de l’azalée rouge que j’ai vue plus bas. Des pétales d’un blanc pur qui n’arrivent pas à faner jonchent le sol au pied de l’arbre. Sa force vitale est immense, elle exprime un irrésistible désir de s’exposer, sans contrepartie, sans but, sans recourir au symbole ni à la métaphore, sans faire de rapprochement forcé ni d’association d’idées : c’est la beauté naturelle à l’état pur.

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