Affranchissements – Muriel Pic

J’ai lu chez l’anthropologue David Graeber que le mot liberté en Mésopotamie signifiait libération des effets de la dette, et que amargi voulait dire littéralement ‘retour chez la mère’. A Sumer, les décrets des souverains abolissant périodiquement les carences des paysans permettaient à ceux partis pour gagner de l’argent de revenir dans les familles. Il semble donc que nous n’ayons pas le privilège des bêtes d’être sans dette, ce que nous nous acharnons à leur faire payer. Les poètes sont souvent criblés de redevances. Sans doute parce qu’ils endossent une dette primordiale, illimitée, ce qui leur donne toujours un air de petit bossu. Je comprendrais que d’autres ne partagent pas cette vision. Pourtant, ils devraient me faire confiance, je sais de quoi je parle. J’ai parfaitement conscience que par cette dette métaphysique, et sur notre dos, les pouvoirs religieux, politiques, économiques établissent leur autorité en nous commandant la manière de rembourser ce qui peut l’être, ce que nous devons à la nature, aux ancêtres, au savoir, à l’humanité. La guerre est le pire moyen de remboursement pouvant nous être imposé. La liberté serait de choisir comment honorer ce qui détermine notre existence. Ce serait certainement plus pacifique, plus écologique et plus économique pour tout le monde. Car il n’y a pas d’existence autonome. C’est une vision de la liberté qui cache une idéologie strictement individualiste, divisant les forces en présence, et où chacun se préoccupe d’être crédible pour survivre. Être libre, c’est avant tout payer notre tribut à la vie en la sauvegardant tant au niveau macroscopique du monde qu’au niveau microscopique d’une existence. Il semble qu’il faille continûment ressaisir la liberté en s’émancipant de ce qui nous aliène chaque jour et que nous cultivons : conformisme, concurrence, compétition. Quant au poète, sa liberté est peut-être de choisir comment il collecte ce qui nous appartient à tous, puise dans la dette commune pour nous rendre tangible l’incommensurable richesse du vivant.

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