Ka – Roberto Calasso

Il pensait : “Je sais à présent ce qu’est un brahmane. Un brahmane est celui qui se nourrit de lui-même.”

 


“Rien n’enchante plus l’esprit que l’existence du monde extérieur, que quelque chose qui lui est réfractaire et qui ne lui obéit pas. Gâté par sa toute-puissance, par sa capacité à établir des connexions et à identifier tout avec tout, l’esprit voulut un obstacle qui ne fût pas moins grand que le monde – et il le désira. Le poursuivre, le pénétrer : il y avait en cela un défi exaltant, le plus incertain. Ce fut la course à la poursuite de l’antilope. Elle ne s’arrêta jamais.”


“Être actif ou passif, pensa Prajapati, cela ne fait pas, après tout, une grande différence. Ou, du moins, cela ne fait pas cette énorme différence que les hommes y verront par la suite. Chaque actif est le passif de quelque autre. Mais c’est une vérité qui embrouillerait les esprits des hommes, dans le cours normal des choses, plus qu’elle ne les éclairerait. S’ils l’acceptaient, tout s’enchevêtrerait irrémédiablement. C’est la raison pratique en fonction de laquelle une partie de l’enseignement reste secrète : empêcher que le cours du monde soit paralysé par la connaissance; ne laisser accéder à la connaissance que ceux qui, même quand ils sont traversés par la connaissance, permettent au monde de poursuivre son cours.”


Yajnavalkya dit : “Pour accéder à ce monde, pour avancer vers là-bas, il est nécessaire d’atteler l’esprit et la parole. Il n’y a pas d’autre char pour nous transporter. Mais il est nécessaire d’observer attentivement si l’attelage est équilibré. Parce que la parole est plus petite que l’esprit. Alors, sous l’essieu de l’attelage, du côté de la parole, on peut glisser une autre planche en bois, de façon à ce que l’essieu reste plat. Voilà les attentions dont dépend le cours de notre vie.”


Plus encore que par les amours et par les guerres, les histoires étaient mises en mouvement par les malédictions.


 

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