La chouette aveugle – Sadegh Hedayat

Le cours de mes pensées se figea. Une vie singulière s’éveilla en moi; mon existence se trouvait liée à celles de toutes les créatures qui m’environnaient et de toutes les ombres qui frissonnaient autour de moi. J’étais profondément, indissolublement uni au monde, au rythme des êtres et de la nature. Par des fils invisibles, un courant morbide s’était établi entre moi et tous les éléments. Aucun rêve ne me semblait contraire à l’ordre naturel. Je pouvais pénétrer aisément les secrets des vieilles miniatures, ceux des livres de philosophie les plus ardus, et la bêtise éternelle des formes et des espèces, car, à cet instant, je participais à la gravitation de la terre et des cieux, à la croissance des végétaux, aux mouvements des êtres animés. Le passé et l’avenir, le proche et le lointain ne faisaient plus qu’un avec ma vie émotive.


La nuit s’en allait à pas de loup, comme si elle s’était suffisamment reposée de ses fatigues.


Durant tout notre séjour sur terre, la mort nous fait signe de venir à elle. Chacun de nous ne tombe-t-il pas, par moments, dans des rêveries sans cause, qui l’absorbent au point de lui faire perdre toute notion du temps et de l’espace? On ne sait même pas à quoi on pense mais, quand c’est fini, il faut faire effort pour reprendre conscience de soi-même et du monde extérieur. C’est encore l’appel de la mort.

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