Le pays où l’on n’arrive jamais – André Dhôtel

De nouveau le calme des prairies pénétrait jusqu’au fond de la cuisine et l’on entendait bruire la forêt sous les profondeurs du ciel. Les murs répercutaient longuement les pas des habitants qui vaquaient à leurs occupations éternelles.


Ce n’était pas par curiosité. Si par hasard des gens parlaient de leurs affaires, il s’éloignait aussitôt, parce que l’indiscrétion le gênait. Ce qui l’enchantait, c’était le timbre des voix qui sonnait doucement dans la soirée. Il y avait la voix basse du bedeau, la voix comme une chanson de la jeune boulangère, et bien d’autres encore, tantôt mélancoliques, tantôt joyeuses.

Cependant cette contemplation paisible et enfantine prenait peu à peu en lui la forme d’une prière, et de temps à autre il arrivait à Gaspard de prier dans sa solitude. Alors il sentait autour de lui une sorte de vigueur sauvage. Le silence de Lominval était si profond qu’une simple parole par exemple pouvait prendre une valeur inattendue et avoir d’exceptionnelles conséquences.


Après avoir parcouru une immense futaie de hêtres ils arrivèrent dans une allée bordée de chênes dont les feuillages énormes s’élevaient vers un ciel maintenant nuageux. Après les chênes, il y eut des taillis obscurs, puis d’autres taillis clairsemés qui étaient peuplés de sorbiers et ornés de chèvrefeuille. Plus loin, des genêts avec des bouleaux. On traversa aussi une forêt d’épicéas où le cheval glissa sans bruit dans un sentier couvert d’aiguilles. Gaspard apprit donc qu’il n’y avait pas une forêt mais mille forêt dont pas une ne ressemblait à celle de Lominval. Il passa dans des sous-bois marécageux où les herbes pâles et les campanules s’élevaient au milieu des ombres. Un autre bois était fait presque uniquement de peupliers morts, après quoi on découvrait une clairière emplie de fleurs rouges et de myosotis. C’est impossible de tout décrire. Comme on traversait des rocailles semées de bruyères, les fers du cheval lancèrent des étincelles et ce fut à ce moment que l’orage éclata.


– Vous lisez des livres? demanda Gaspard.

– Je lis des livres, je regarde et j’écoute.


Voilà qui nous change, disait Niklaas. Nous sommes faits pour changer toujours.


Alors, on entendit le carillon de la tour, qui se mettait à chanter. Comme des voix nombreuses, perdues dans l’air, et inhumainement claires et pures.

– Vous ne saviez pas que cela existait, dit Niklaas. Cela existe. Il n’y a pas que des aventures et des ennuis, ici-bas, Gaspard, mon fils. On entend aussi des chansons dans le ciel.

Gaspard dit:

– A quoi cela nous avance-t-il ?

– Il faut apprendre à écouter, dit Niklaas, même des choses inutiles. Il faut apprendre à voir, aussi. Venez sur la tour.

(…)

– Regardez surtout la banlieue, et ce lac, là-bas, et les villages plus loin. Si tu veux découvrir ce que tu cherches, Gaspard, tu dois tâcher de lire les signes qu’il y a dans les choses. Observe ces jardins, ces parcs, avec des massifs de fleurs, les carrefours des chemins. Peu de personnes les connaissent et ont l’occasion d’en parler. Le pays d’Hélène t’apparaîtra peut-être dans un de ces lieux inconnus dont il y a des milliers par nos contrées.

– Comment me débrouiller au milieu de tout cela et par où commencer? objectait Gaspard.

– – Un indice en amène un autre, dit Niklaas. La terre est immense, mais il y a des liens entre les choses.


Si nous étions différents, tout changerait. Nous découvririons le grand pays.


L’horizon du grand pays recule sans cesse au fond de l’espace et du temps. C’est le pays où l’on s’éloigne toujours ensemble, et l’on ne parvient en un lieu désert que pour en trouver d’autres plus beaux.


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