Ombre pour ombre – Annie Le Brun

Voilà le conte et ses tessons de cristal

Dépeçant les fauves au couchant

Pronoms personnels

Grooms lascifs

Pris dans les portes-tambours du vent

Vous avez tout perdu

Votre trousseau d’identités

Vos innombrables tétons de disponibilité dorée

Et surtout votre carte du tendre qui tient dans un mouchoir

Un mouchoir brodé de fils de fer barbelés

Que vos livrées creuses altèrent les grandes artères du langage

J’ai trop peu de temps pour m’en soucier

La pomme du silence est peut-être tombée sur la tête du bruit

Mais le sang ne redescendra pas dans les pattes géométriques des cigognes de la chance

Ceci pour les carreleurs de destin

Attentifs à l’équerre de leurs coudées franches

Je ne connais que la lande obscure

Où j’ai ricoché au milieu de l’été 1942

Érigée dans le bégaiement de la brume génitale

C’est toujours la même langue de solitude mauve

Brise-lames de l’absence

C’est toujours la même avancée de chair transie

Avec ses fraises de granit

Et ses meurtrières d’océan

Balançoire de certitudes haletantes

Entre le miroir sans tain de Port-Royal

Et les reflets convulsés de Cluny

Silence danse houle

Cris masque reflux

Une femme prend feu

Entre l’étincelle des ajoncs et celle des genêts

Pas besoin de couverture

Elle a déjà plongé ses veines

Dans la laitance des pôles

Très loin de la blessure incertaine du rivage

Table ronde sous-marine

Ondulant ses fastes

Sous les balises rouies

Des caresses cul-de-jatte

Ô sœur allusive

Née des boucles de l’orage

Et de la fureur du conte.

Laisser un commentaire Annuler la réponse.