
Parfois, elle te dit qu’elle t’aime. Elle perçoit tes qualités, celles dont tu devrais avoir honte. Si seulement tu étais la seule et l’unique. Elle te protégerait, elle vieillirait à tes côtés si elle avait confiance en toi. Tu n’es pas sexy, mais elle couchera quand même avec toi. Parfois, quand tu regardes ton téléphone, elle t’a envoyé quelque chose d’horriblement cruel, et la peur te fait l’effet d’un coup de poing entre les omoplates. Parfois, quand tu la surprends qui te regarde, tu as l’impression qu’elle réfléchit à un moyen de t’éradiquer.
Tu passeras les années suivantes de ta carrière à inventer des explications compliquées pour justifier la structure des nouvelles que tu écrivais alors – les lisant à voix haute à de jeunes lecteurs en cours ou dans des librairies; une fois, à un entretien d’embauche pour un poste de professeur assistant. Tu déclares : “Raconter une histoire d’une seule façon, c’est prendre le risque de passer à côté de l’essence même des histoires.” Tu ne te résous pas à dire ce que tu penses, au fond : J’ai désagrégé la forme de la nouvelle parce que je me désagrégeais moi-même et que je ne savais pas quoi faire d’autre.
Voici ce vers quoi je reviens encore et toujours : selon quels critères juge-t-on qu’un narrateur est digne ou n’est pas digne de confiance? Et une fois la question tranchée, que fait-on de celles et ceux qui essaient de construire leur propre vision de la justice?
Dans un essai publié dans Naming the Violence – la première anthologie de textes écrits par des lesbiennes sur les violences conjugales au sein de leur communauté -, la militante Linda Geraci se souvient d’une amie lesbienne paraphrasant Pat Parker à l’adresse d’une interlocutrice hétéro : “Si tu veux être mon amie, tu dois faire deux choses. Premièrement, oublie que je suis lesbienne. Deuxièmement, n’oublie jamais que je suis lesbienne.” C’est là la malédiction de la femme homosexuelle : l’éternelle liminalité. Vous êtes au moins deux choses à la fois; et vous n’en êtes aucune.
Les méchants sont de loin les personnages les plus intéressants de tous les protagonistes gays, à la fois révélateurs d’un univers spécifique et, plus généralement, de l’air du temps. Ils deviennent une étoile au sein d’une plus large constellation; ils sont mis en contexte. Et c’est assez excitant, voire libérateur; en élargissant la représentation, nous laissons aux homosexuels le champ pour être – en tant que personnages ou personnes de chair et de sang – des êtres humains. Ils n’ont pas besoin d’être des métaphores de la méchanceté et de la dépravation ni des icônes du conformisme et de la docilité. Ils ont le droit d’être pleinement ce qu’ils sont. Nous méritons que nos méfaits soient représentés au même titre que notre héroïsme, car lorsque nous refusons à un groupe la possibilité même de ses méfaits, c’est son humanité tout entière que nous nions. Pour le dire autrement, les homosexuels – ceux du monde réel – ne méritent pas d’être représentés, protégés ou d’avoir les mêmes droits que les autres parce qu’ils sont la vertu et l’honnêteté incarnées. Ils méritent toutes ces choses parce qu’ils sont des êtres humains, et cette raison suffit amplement.