“Voulez-vous un homme sain, le voulez-vous réglé & en ferme & sûre posture, affublez-le de ténèbres, d’oisiveté & de pesanteur.” (Montaigne)
J’aime la Sibérie, mais je peux aimer la Sibérie autant que je veux, si personne n’en prend connaissance, si personne ne sait que j’aime la Sibérie, alors je n’aime pas la Sibérie, bien que j’aime la Sibérie.
Je n’ai jamais aimé le voyage, être-en-chemin, m’ex-poser. Peut-être à cause de la friction, peut-être en raison de la corporalité importune. Je ne veux pas remarquer que j’ai un corps.
Le remède aux forces sociales centrifuges, ce sont les fictions. Elles défient les entropies et stabilisent les entrelacs complexes d’entités sociales métaboliques. Toute société humaine, toute entreprise collective se fonde sur une fiction absurde. Ce sont des histoires efficaces – religions, nations, eschatologies humanistes, marxistes, techniques ou de quelque nature que ce soit, ou encore la pure et simple fiction : l’argent – qui maintiennent notre cohésion, qui nous animent, nous entraînement dans des phantasmes et nous font oublier notre caractère mortel. Elles forment le mastic symbolique qui assurent le liant du projet humain. Il faut des histoires pour légitimer les inégalités, et des histoires pour faire tomber les systèmes. Sans les bulles fantastiques et illusoires de nos mondes symboliques, il n’y aurait ni pyramides, ni art, ni Empire japonais, ni guerre.
L’art européen connaît lui aussi une esthétique de la négation. Les poèmes de Mallarmé ressortent du silence de la page blanche, la musique de John Cage intègre le silence. On trouve dans l’esthétique japonaise le concept du yokaku-no-bi : la beauté du blanc qui est resté. Seul le non-dit, les emplacements vides, les surfaces blanches de l’écran permettent d’éprouver le beau.
Quelles leçons pouvons-nous en tirer? La réponse est simple : Aucune. Absolument aucune. La nature en effet n’existe pas pour qu’on en tire des conclusions anthropomorphiques. La nature n’est pas un grand établissement éducatif et pédagogie destiné à l’édification du genre humain. Malheureusement, non. La nature, qui n’est de toute façon pas une invention, ne connaît pas de morale. La vie est une fin en soi. Elle est la volonté pour soi. Elle veut se maintenir et se reproduire elle-même. La vie veut survivre.
CITATIONS EXTRAITES DE / Cahiers. Chantal Blanchard- Septième cahier – novembre 2010 à mars 2011