
“Il n’y a rien! Il n’y a rien!”, je me disais en rentrant en voiture le long de ces lacets de plus en plus serrés et déserts au fur et à mesure que je m’approchais de l’endroit où je vis. “Il n’y a, en tous lieux, que cette pullulation désespérée de vie et de mort à travers le temps, l’espace, que cette imagination désespérée…”
“C’est comme ça que les ruisseaux, les torrents, les fleuves se forment…, je me disais avec émotion. Des masses d’eau qui gonflent petit à petit et attirent et puis englobent avec la force croissante de leur avancée d’autres masses d’eau plus petites qui descendent le long de la montagne abrupte, alors que d’autres se perdent, çà et là, sans avoir eu la force de se transformer en ruisseaux, en torrents , en fleuves. Des ruisselets identiques en apparence, qui se sont formés comme ça, en quelque endroit inconnu et hors du monde, là où personne ne peut les voir, et qui sortent ensuite à découvert quand ils sont déjà gros, impétueux, creusant leurs lits dans les gorges des montagnes, dans les vallées et puis dans les grandes plaines, et personne ne peut plus les arrêter…”
“C’est quoi ce monde?”, je pensais en regardant les enfants qui s’en allaient tout seuls dans le noir, avec leurs petites jambes nues sous leur petite blouse et avec leur cartable. “Où est-ce que, quand tout le monde dort, il y a des enfants morts qui sortent en silence des écoles du soir, tout seuls, sans que personne ne le sache, sans que personne ne les voie. Ils n’ont personne qui les attend, debout devant le portail, ils ne lèvent même pas leur regard dans le noir, de toute façon ils savent pertinemment que personne ne les attend. Ils s’en vont tout seuls, qui sait où… Maintenant cet enfant va traverser le village désert, il va prendre cette petite route qui monte et arrive jusqu’au début de la crête, puis le chemin plus étroit envahi par la végétation et par les ronces qui grimpe au milieu de la forêt, en pleine nuit, dans le noir, il va arriver jusqu’à sa petite maison, il va allumer la petite lumière… Quelle peine ils font les enfants morts quand ils sortent comme ça des écoles plongées dans le noir, la nuit, tout seuls! Mais au fond…, les enfants vivants ne font-ils pas autant de peine?”