Poèmes ésotériques. Message. Le marin – Fernando Pessoa

L’absence d’un dieu est aussi un dieu.


Par la plaine où ne passe aucun chemin

Le preux chevalier vient.

Il chemine, la paix dans l’âme, en plein silence,

Et Personne il ne craint.


L’abîme est ma clôture,

Être moi n’a pas de mesure

dans Poèmes ésotériques


Quelle voix se glisse dans le bruit des vagues

Qui n’est pas la voix de la mer?

C’est la voix de quelqu’un qui nous parle,

Mais qui, si nous prêtons l’oreille, se tait,

Du seul fait que nous ayons prêté l’oreille.

Et c’est seulement si, dans un demi-sommeil,

Sans la moindre conscience d’entendre nous entendons,

Qu’elle nous vient alors murmurer l’espérance

A laquelle, tel un enfant

Qui dort, tout en dormant nous sourions.

Ce sont des îles fortunées,

Ce sont des terres de nulle part,

Où séjourne le Roi dans l’attente.

Mais, si nous commençons à nous réveiller,

La voix se tait, il n’y a que la mer.

Les îles fortunées, dans Message


TROISIÈME VEILLEUSE : Cela me fait horreur, de penser que dans quelques instants, je vous aurai dit ce que maintenant je vais vous dire. Mes paroles, à peine prononcées, appartiendront au passé et se tiendront hors de moi, je ne sais où, rigides et fatidiques… je parle et j’y pense dans ma gorge; mes paroles semblent être des êtres humains… Mon effroi me dépasse de toutes parts. Je me sens dans ma main, je ne sais comment, la clef d’une porte inconnue. C’est comme si j’étais tout entière une amulette, un reposoir ayant conscience de lui-même. C’est pour cela que je m’effraye d’aller, comme par une forêt obscure, à travers le mystère de la parole… Et, en fait, qui sait si je suis bien ainsi, et si c’est cela que j’éprouve?

(…)

DEUXIÈME VEILLEUSE : On ne doit pas trop parler… La vie nous guette sans relâche… Toute heure est maternelle pour le rêve, mais il vaut mieux l’ignorer… Quand je parle trop, je me sépare de moi-même, et je m’entends alors parler. Je m’apitoie sur moi-même, et je sens mon cœur trop intensément; j’ai envie de le prendre dans mes bras pour le bercer comme un enfant… Regardez : l’horizon a pâli. Le jour ne doit plus tarder… Dois-je vraiment vous parler encore de mon rêve?

(…)

PREMIÈRE VEILLEUSE : Ne parlons plus. Pour ma part, votre effort pour parler me fatigue… Je souffre de l’intervalle entre ce que vous dites et ce que vous pensez. Ma conscience surnage à la surface de la somnolence effrayée de mes sens sur ma peau… Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est ce que je ressens… J’éprouve le besoin de prononcer des phrases confuses, un peu trop longues, difficiles à dire… Ne sentez-vous pas tout cela en vous, comme si une énorme araignée tissait, d’une âme à l’autre, une toile noire qui nous retiendrait prisonnières?

dans Le marin

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