L’Enchanteur pourrissant – Guillaume Apollinaire

S’étant dévêtue alors la dame s’admira. Elle était comme le jardin d’avril, où poussent par places les toisons de persil et de fenouil, comme la forêt de juin, chevelue et lyrique, comme le verger d’octobre, plein de fruits mûrs, ronds et appétissants, comme la plaine de janvier, blanche et froide.

L’enchanteur se taisant, la dame pensa :

“Il est mort. Je veillerai quelque temps sur cette tombe, puis je m’en irai dans mon beau palais plein de lueurs de gemmes, au fond du lac.”

Elle se vêtit, puis s’assit de nouveau sur la pierre du sépulcre et, la sentant froide, s’écria :

– Enchanteur, certainement tu es mort puisque la pierre de ta tombe l’atteste.

Elle eut la même joie que si elle avait touché le cadavre lui-même et ajouta :

– Tu es mort, la pierre l’atteste, ton cadavre est déjà glacé et bientôt tu pourriras.

Ensuite, assise sur la tombe, elle se tut, écoutant les rumeurs de la forêt profonde et obscure.

On entendait encore, parfois, au loin le son triste du cor de Gauvain, qui seul au monde avait pu savoir où était Merlin. Le chevalier aux Demoiselles avait tout deviné, et maintenant, s’en allait cornant pour susciter l’aventure. Or, le soleil se couchait et Gauvain au loin disparaissait avec lui. Gauvain et le soleil déclinaient à cause de la rotondité de la terre, le chevalier devant l’astre et tous deux confondus, tant ils étaient lointains et de pareille destinée.

La forêt était pleine de cris rauques, de froissements d’ailes et de chants. Des vols irréels passaient au-dessus de la tombe de l’enchanteur mort et qui se taisait. La dame du lac écoutait ces bruits, immobile et souriante. Près du tombeau, des couvées serpentines rampaient, des fées erraient çà et là avec des démons biscornus et des sorcières venimeuses.

 

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