Comment retarder l’apparition des fourmis – José Carlos Becerra

(le scribe)

les jours à venir,

quand on n’entendra plus la couleur blanche

parler entre ses dents sur tes pages,

quand le moindre centimètre de ton âme

ne manquera plus de mots, et que tes limites

détiendront les ponts que tu as toujours prévus,

et que les choses recevront la lumière appuyée sur cette chair

où la mémoire fourmille

en inventant tout,

 

quand tout sera déjà dans l’ordre

et le nombre convenu de fourmis,

quels mots

se transformeront en mouches qui volent

sur tes yeux démentis par leur fixité?

et quelle population de faits

t’abandonnera à ses adversaires?


(le toast du bohémien)

dans la salle surchauffée de bonnes intentions,

quelqu’un dans l’assistance dit : je propose

une minute de silence pour ceux qui sont tombés,

 

et tous y consentirent,

victimes et bourreaux unirent leurs bouches

brièvement scellées

autour du brasier où

quelques bûches carbonisées crépitaient encore,

 

(sous le dais de l’herbe,

l’un des morts fut pris de convulsions :

je fais un cauchemar, murmura-t-il doucement)

(fin 1970)