Le petit chaperon rouge dans la tradition orale – Yvonne Verdier

La petite fille se glissa dans le lit. Quand elle sentit la main de sa grand-mère, elle dit : “Grand-mère, pourquoi as-tu la main si velue? – C’est à cause des années que m’a fait porter mon mari.” Puis elle sentit les bras : “Pourquoi sont-ils si poilus? – C’est d’avoir trop travaillé.” Elle sentit sa poitrine : “Pourquoi tous ces poils? – C’est d’avoir trop allaité. – Et cette panse poilue? – C’est d’avoir eu trop d’enfants.”

Ici, le poil, l’aspect velu, est donc associé à la détérioration, à l’usure des facultés génésiques féminines : c’est à cause des années que m’a fait porter mon mari, d’avoir eu trop d’enfants, d’avoir trop allaité! Si donc on prend le loup au mot, ne figurerait-il pas la vieille femme elle-même, qui, dépouillée de son pouvoir d’enfanter, de tous ses attributs féminins – son sang menstruel, ses mamelles, sa panse – se couvre de poils, devient homme ou bête sauvage? Plutôt qu’à un loup-grand-mère comme nous venons de le qualifier, n’aurions-nous pas affaire à une grand-mère-loup? Deux versions tendent à corroborer cette hypothèse : la version tourangelle donnée plus haut, où ce n’est pas un loup que rencontre la petit fille, mais “un homme laid conduisant une truie” qui, du reste, la poursuivra jusqu’à la rivière, “monté sur une truie”. Soit un homme-truie, pourrait-on dire, l’équivalent en croisant les termes d’une grand-mère-loup! Dans ces conditions, l’animal et la grand-mère ne faisant qu’un, celui-ci n’étant en quelque sorte qu’un trait la qualifiant, le jeu ne se jouerait plus qu’à deux personnages, comme nous en avions l’impression au début de cet article : la petite fille qui devient femme et la grand-mère qui, perdant sa féminité, se masculinise ou tout au moins s’ensauvage. En vérité, cette version à deux personnage existe, où une jeune orpheline vient dans le bois chez sa grand-mère qui se révèle être la “femme sauvage”, et qui entend la manger. Cette grand-mère-loup, cet homme-truie, cette femme sauvage seraient donc tous habités du désir cannibale de manger leurs petits-enfants. Aussi nous retrouvons-nous devant le motif inverse de celui qui s’était explicitement dégagé en première analyse : c’est que les grands-mères, si on les laissait faire, aimeraient bien manger leurs petits-enfants comme dans la Belle au Bois dormant. On peut donc nuancer la morale du conte : s’il faut que les petites filles mangent leurs grands-mère, c’est que celles-ci veulent les manger.