Depuis qu’on laisse mourir des gens qui tentent simplement de survivre ailleurs quand, chez eux, il ne reste plus que l’enfer, la fiction ne m’est plus d’aucune aide, ni pour moi, ni pour eux. La fiction m’apparaît, certains jours, comme un refuge que j’ai perdu. Elle s’est éclipsée pour m’obliger à regarder ce qui s’écrit dans l’Histoire, sans mon assentiment. Hormis lui parler, comme quelqu’un qui marmonne pour elle seule, que fallait-il que je fasse d’elle, morte étrangère venue me tirer par les pieds. Elle se retourne dans sa tombe chaque minute de ce monde où recommencent les mêmes injustices, les mêmes horreurs. La mort ne lui suffira pas pour trouver la paix tant que d’autres personnes, ordinaires comme elle, continueront de contrer les causes de la misère de leurs semblables. Impossible pour elles de ne pas rester à côté des gens à défendre. Il leur faut soulager ceux qu’on abandonne à leur sort ou que l’on contient dans des centres fermés, il leur incombe de désobéir quand la justice est bafouée par la politique, par la finance. Elles ouvrent leur porte, comme Christine, elles donnent à manger, comme Christine, elles accompagnent, elles logent, elles forcent les serrures. Elles ne supplient pas un peu de pouvoir d’achat en plus; elles exigent de la dignité. Quand il y a de la richesse, on la partage. Comme Christine, elles ne trouvent plus la paix non plus. On les poursuit, on les accuse, on les juge, on leur fait payer cher leurs actions au nom d’une loi inique.
