Le vent dans les saules – Kenneth Grahame

– C’est ici le berceau de la chanson de mon rêve, c’est de ce lieu que la musique a lancé son invite, murmura Mr Rat comme en extase. Nous ne le trouverons nulle part ailleurs que dans ce lieu saint.

Une grande frayeur, jointe à un grand respect, s’empara alors de Mr Taupe. Il courba la tête, les pieds cloués au sol, et sentit tout son corps se liquéfier. Cette frayeur n’avait pourtant rien de terrifiant. Il éprouvait plutôt un merveilleux sentiment de paix et de bonheur. Elle était cependant là, cette frayeur, elle le tenait. Et il devinait qu’il y avait, tout près de lui, même si elle restait invisible, une présence auguste. Il dut faire un effort pour se tourner vers son ami: il était bien là à coté de lui, frappé de stupeur et tremblant comme une feuille. Il faisait de plus en plus jour. Les oiseaux dans les arbres qui les entouraient gardaient un silence absolu.

Mr Taupe n’eut probablement jamais osé lever les yeux si l’appel ne s’était de nouveau fait entendre, toujours aussi impérieux. Il n’aurait pas su se dérober, la mort dût-elle le foudroyer, car il avait la révélation de ce qui, non sans raison, est soustrait au regard des simples mortels. Il obéit en tremblant et releva humblement la tête. Et alors dans cette parfaite clarté qui précède l’aube, tandis que la Nature, rehaussée d’éclatantes couleurs, semblait retenir son souffle dans l’attente de quelque événement merveilleux, ses yeux rencontrèrent ceux de l’Ami et du Protecteur. Il vit la ligne fuyante des cornes recourbées, luisant dans la lumière du jour naissant; il vit un nez sévère et crochu entre des yeux qui le regardaient avec bienveillance et un soupçon d’ironie, tandis que la bouche barbue esquissait un sourire; il vit les muscles saillants du bras qui reposait sur sa large poitrine, et la main longue et souple qui tenait les pipeaux à peine échappés des lèvres entrouvertes. Il vit le modelé parfait des membres velus qui reposaient sur le gazon dans une attitude pleine d’aisance et de majesté; et enfin, il vit, niché entre les sabots du Joueur de pipeau et dormant d’un sommeil paisible et profond, un petit enfant potelé : le petit Loutre. Il vit avec une intensité qui le mettait hors d’haleine, cette image, si vive dans la lumière du matin; il regardait et était toujours vivant; il vivait et son émerveillement était à son comble.

– Rat, murmura-t-il quand il eut recouvré son souffle. Avez-vous peur?

– Peur? Peur de lui? demanda Mr Rat, les yeux brillants d’un inexprimable amour. Oh jamais, jamais et pourtant, si, Taupe, j’ai peur.

Et les deux amis se prosternèrent à terre, inclinant la tête en signe d’adoration.

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par Anders Noren.

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