En vivant, en écrivant – Annie Dillard

Une semaine plus tard, je reçus une visite si instructive que, lorsqu’elle fut terminée et que j’en eus entièrement assimilé la leçon, j’envisageai de ne plus jamais ouvrir ma porte à personne. C’était une visite d’enfants.

Pendant la semaine qui suivit la visite du marin, je me demandai quand ma vie avait mal tourné. Je vivais trop retirée du monde. Mon travail était trop obscur, trop symbolique, trop intellectuel. Je ne m’adressais pas aux gens. J’avais récemment publié un essai narratif complexe sur une phalène qui volait dans la flamme d’une bougie, que personne n’avait compris sinon un critique de Yale, mais lui l’avait compris parfaitement. J’avais moi-même une formation de critique. J’étais donc une critique écrivant pour d’autres critiques : était-ce là ce que j’avais désiré?

Un jour que je remuais toutes ces pensées, j’essayais vainement de travailler. Après huit heures d’observation impuissante de mes gribouillis absurdes et maniéristes qui envahissaient les marges et remplissaient les pages que j’étais supposée écrire, je renonçai. Je décidai de me haïr, de faire du pop-corn et de lire. Je venais de m’enfoncer dans le canapé, le bol de pop-corn posé à côté de moi, quand j’entendis des pas au-dehors. C’étaient deux petits garçons du voisinage, Brad et Brian, âgés de sept et six ans.

“Ça sent bon ici”, dit Brian.

Nous avons vidé le bol de pop-corn en bavardant, allongés par terre. Ils ont joué de l’harmonica; ils ont joué de la flûte ; ils ont joué du ukulélé.

Puis Brian s’est levé et s’est approché de mon bureau, sur lequel il y avait un dessin au crayon d’une bougie allumée.

“Est-ce la bougie dans laquelle la phalène a volé?” a demandé Brian.

Je l’ai regardé : Quoi?

Il a dit, et je le cite exactement :

“Est-ce la bougie dans laquelle la phalène a volé, son abdomen s’est retrouvé collé, et sa tête a pris feu?”

Quoi? fis-je. Quoi? Ces petits gamins en blue-jean étaient en cours préparatoire. Ils ne m’arrivaient même pas à la taille. Brad, allongé par terre, a pris la parole :

“J’ai bien aimé cette histoire.”

Pourquoi, si j’étais vraiment sincère, m’a-t-il paru réconfortant de me répéter : “Bah, c’est le plus âgé des deux”?

Ensuite, avant de partir, Brian s’assura que j’avais bien compris que, si jamais je croyais partager la moindre communauté de langage avec un quelconque interlocuteur, je me trompais. Brian dit (sur un ton que je crus admiratif) :

“Tu as vraiment écrit cette histoire?” Comme je voulais répondre, il poursuivit : “Ou alors tu l’as tapée à la machine?”

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