De ses imprévisibles mouvances ni l’histoire de l’art ni l’histoire des idées ne cherchent à rendre compte, normalement plus occupées par les œuvres que par l’irréalité qui les fomente et les fait trouver forme pour réinventer l’horizon. Pourtant, c’est elle qui se fait ligne de foudre de la Ballade des pendus de Villon aux Caprices de Goya, de la Philosophie dans le boudoir de Sade aux Demoiselles d’Avignon de Picasso, du Printemps de Botticelli aux Fleurs du mal de Baudelaire…, reliant ce qui semble ne pouvoir l’être, pour, chaque fois, dessiner d’autres constellations.
C’est cette irréalité qui nous fait riches de ce que nous ne sommes pas. C’est cette irréalité qui nous offre la liberté de l’espace intermédiaire qui s’y découvre, accessible à tous mais où chacun est alors à même de trouver le passage par lequel il peut se réapproprier le monde. J’en verrais même une image dans cette remarque de Walter Benjamin à propos de la porosité de l’architecture de Naples : “Structures et actions passent les unes dans les autres, à travers cours, arcades et escaliers. On préserve en chaque chose l’espace de jeu qui lui permettra de devenir le théâtre de nouvelles constellations imprévues. On évite le définitif, le défini. Il n’y a aucune situation qui semble conçue telle quelle toujours – aucune forme affirmant être “ainsi et pas autrement”.”
Encore qu’il s’agisse de les voir ces passages, non pas seulement dans l’opacité de la situation qui nous est faite mais tout autant sinon plus en deçà du réseau informatique qui fascine d’en être une évocation falsifiée. Le passage ouvre sur les profondeurs du temps dont nous sommes faits, alors que le réseau les masque systématiquement en multipliant les connexions pour affirmer de plus en plus l’hégémonie de son éternel présent. La guerre se déroule aussi à ce niveau crucial.